Traumatisme non accidentel

INTRODUCTION ET CONSIDERATIONS GENERALES CONCERNANT LES TRAUMATISMES OSTEO-
ARTICUAIRES NON ACCIDENTELS :
La première publication scientifique alertant sur les sévices et mauvais traitements exercés sur les
enfants remonte à 1860 (travaux de Tardieu). Il a fallu attendre les conclusions d'un article collaboratif de
1962 intitulé «
syndrome de l'enfant battu » pour éveiller enfin les consciences de la communauté
scientifique (travaux de Silverman). Le célèbre Radiopédiatre John Caffey & al. caractérise en 1957 les
lésions classiques métaphysaires (LCM) typiques de maltraitance. Par la suite, une première étude
épidémiologie est conduite en France en 1970 et John Caffey & al. publie en 1972 «
le syndrome du bébé
secoué »
et autres formes de maltraitance
.
L'imagerie est très souvent à l'origine du diagnostic qui peut être insoupçonné cliniquement, car les
tableaux sont très polymorphes. Toute suspicion doit amener immédiatement à une prise en charge
multidisciplinaire et une soustraction rapide de l'enfant à un danger potentiel.
Ces observations radiologiques compléteront les données cliniques (contusion, plaie, brûlure) ainsi
que la découverte de lésion viscérale (intracrânienne, oculaire, ORL ou thoraco-abdominale). Le
recoupement des données cliniques pédiatriques, radio-pédiatriques et pédo-psychiatriques permettra de
conclure ou non à une probable maltraitance.
Concernant les manifestations ostéo-articulaires, il sera essentiel de les reconnaître le plus
précocement possible. Il est important de retenir que selon P. Worlock & al (1986), 50% des enfants
maltraités présentent une ou plusieurs fractures et 80% de celles-ci surviennent avant l’âge de 18 mois.
La description exhaustive du nombre, du type et du stade de cicatrisation des lésions est impérative (vide
infra).
Le siège préférentiel des lésions osseuses par traumatisme non accidentel (C. Adamsbaum & al.
2007) concernent les os longs appendiculaires et sont de topographie métaphysaire ou diaphysaire.
D'autres localisations sont toutefois rapportées (côte, crâne, rachis et bassin).
1. Les lésions métaphysaires présentent un aspect dit en coin ou en anse de seau (J Caffey & al. 1957)
Elles sont regroupées sous le terme de lésions classiques métaphysaires (LCM).
- Elles s’expliquent par la faible adhérence du périoste diaphysaire alors qu’il est fortement inséré à son
extrémité métaphysaire. Il est responsable d’une fracture-arrachement à ce niveau.
- Elles peuvent ne s'accompagner d'aucune manifestation clinique donnant à l'examen radiographique un
rôle primordial. En fonction de l'âge, la lésion initiale s’accompagne parfois d'une réaction périostée
secondaire ou d’une déformation de la plaque métaphysaire devenant irrégulière.
- Elles impliquent des traumatismes infligés de type cisaillement par des gestes de traction, de torsion ou
d’accélération-décélération.
- Leurs localisations préférentielles sont l’extrémité distale du fémur, proximale de l’humérus et aux deux
extrémités du tibia (JK Kraft & al. 2015).
On peut également mettre en évidence des fractures métaphysaires dites « en motte de beurre ».
- Elles résultent d’un mécanisme lésionnel par impaction (contrainte en compression axiale de l’os
diaphysaire dans l’os métaphysaire) (C. Adamsbaum & al. 2007; A. Asokan & al. 2022). Leurs
localisations préférentielles sont l’extrémité distale du radius et du tibia.
Il faudra systématiquement exclure une pathologie sous-jacente, responsable d'une fragilisation ou d'une
déformation du squelette (scorbut, carence en vitamine D, syndrome de Menkes, ostéomyélite, syphilis
congénitale, dysplasie métaphysaire congénitale) ou l’existence de variants de la normale (stricte stabilité
dans le temps).
Concernant la datation, l’article de IA Offiah, PK Kleinman & al. en 2009, catégorise en six étapes
radiographiques le processus de cicatrisation des LMC. Il démontre la difficulté de dater précisément ces
différents stades en raison de la grande variabilité inter-osseuse et inter-personnelle:
- Etape 1 : Gonflement des tissus mous: épanchement articulaire ou perturbation des plans des tissus
mous (Dès 2-5j; Pic à 4-10j)
sur 2 8 - Etape 2 : Réaction périostée : (rare dans les fractures métaphysaires) élévation linéaire et calcification du
périoste le long de la diaphyse à proximité du trait de fracture. (Dès 4-10j; Pic à j10-j14j)
- Etape 3 : Cal mou: apparition dun
«
os précoce
»
autour du site de fracture qui a un aspect
«
pelucheux
»
et perte de définition du trait de fracture. (Dès 10-14j; Pic à j21-j42j)
- Etape 4 : Cal dur :(rare dans les fractures métaphysaires) nouvel os bien délimité avec un bord dense
autour du site de fracture (Dès 14-21; Pic à 21-42j)
- Etape 5 : Pontage : Interstice totalement comblé par le cal (Dès 14-21j; Pic à 30-50j)
- Etape 6 : Remodelage : cicatrisation complète, los reprend sa forme dorigine (Dès 2-5j; Pic à 1 an) On
rappellera à cet égard qu’il est maintenant admis que la datation des fractures à partir des radiographies
est complexe, imprécise et manque de consensus, contrairement à l
analyse histologique impossible chez
l'enfant. L'élément le plus important restant la démonstration de la co-existence de lésions osseuses
d'âge différent.
En 1991, Paul K Kleinman & al. démontre l’existence d’un signe supplémentaire de cicatrisation des LCM
sous la forme d’une clarté en encoche métaphysaire correspondant à une hypertrophie focale du cartilage
de la plaque de croissance dans la métaphyse juxta-chondrale. Il apporte un argument supplémentaire à la
présence d'une fracture en cours de cicatrisation à ce niveau et correspond à un stade
chronique déjà
avancé chronique (Etape 4-5).
2. Concernant les lésions diaphysaires, on peut découvrir :
- chez le nourrisson: des lésions périostées isolées ou de véritables foyers de fracture, répondant à un
mécanisme de torsion ou de coup direct qui provoquent un saignement et un décollement périostés. Les
premières ne seront découvertes radiographiquement qu'à la phase des appositions périostées.
- Chez le jeune enfant: les lésions des phalanges des pieds et des mains sont très suspectes.
- Chezl'enfant plus grand: la topographie relève des lésions défensives concernant principalement le
cubitus et la face latérale du fémur. Il peut s'agir aussi de fractures humérales ou fémorales spiroïde
(traumatisme par torsion), en bois vert (incomplètes), transversales ou obliques (complètes). Les
manifestations cliniques sont souvent évidentes et le diagnostic est majoritairement précoce.
Ces lésions diaphysaires n'ont malheureusement pas d'aspect particulier mais leur découverte avant l'âge
de la marche sans mécanisme traumatique parfaitement documenté leur donne un caractère hautement
suspect.
Comme pour les lésions métaphyses, on veillera à exclure des variantes de la normale, des affections
métaboliques comme le scorbut, des ostéomyélites, une maladie de Caffey, ou une autre cause de fragilité
osseuse constitutionnelle comme l'ostéogenèse imparfaite dans sa forme mineure. Cette dernière sera
suspectée en cas d'ostéoporose et de nombreux os wormiens au niveau de la voûte crânienne. Il est
important de savoir que cette maladie n'entraîne jamais de fracture métaphysaire.
Leur cicatrisation comporte aussi plusieurs phases radiologiques:
- Phase inflammatoire :
a)
Œdème des tissus mous : l’hématome sous périosté se traduit par une tuméfaction des parties
molles avec « flou » péri-fracturaire et refoulement des liserés graisseux (E Halliday & al. 2011).
b)
Trait de fracture : nécrose avasculaire de quelques millimètres avec résorption progressive
élargissant le trait de fracture qui sera mieux discerné après quelques jours (P. Naik & al. 2021).
- Ossification primaire
a)
Apposition périostée (ou réaction périostée): surélévation linéaire et/ou calcification du périoste le
long de la diaphyse osseuse, à proximité du trait de fracture ou sur l’ensemble de la diaphyse (C. Warner &
al. 2017; M. Fadell & al. 2017).
b)
Pont dossification: matrice osseuse immature reliant les berges fracturaires: la ligne de fracture
disparaît progressivement (CA Malone & al. 2011).
c)
Cal osseux: opacité ovalaire à développement centrifuge, englobant la fracture (C. Warner & al.
2017).
- Remodelage osseux: permet la restauration ad integrum de los qui retrouve sa morphologie initiale. Elle
dure de plusieurs semaines à plusieurs mois (fusion de l
apposition périostée avec la corticale et
réapparition de travées osseuses).
sur 3 8 Il est important de retenir que les capacités de cicatrisation osseuse varient selon la région anatomique et le
segment entrepris : pour le membre supérieur, la partie proximale de l
humérus et distale du radius ont un
potentiel de remodelage beaucoup plus important que la région du coude. Pour les membres inférieurs,
c
est la région à proximité du genou qui est la plus résiliente. La métaphyse richement vascularisée
cicatrisant beaucoup plus vite que les diaphyses (KE Wilkins & al. 2005).
Dans ce contexte, concernant leur datation, on considère avec toutes les réserves nécessaires vu la grande
variabilité inter-osseuse et inter-personnelle que :
- Les appositions périostées apparaissent environ quatre jours après le traumatisme et sont présentes
dans 50 % des cas dans les deux semaines (I. Prosser & al. 2005)
- Un cal osseux apparaît dès le septième jour et est identifié dans 50 % des cas dans les deux semaines
suivant le traumatisme.
- Un début de remodelage est observé dès huit semaines dans la plupart des cas et peut durer plusieurs
mois à plusieurs années.
3. Pour les autres localisations:
- les fractures de côte sont fréquentes en dessous de deux ans, généralement de topographie postérieure,
multiples, bilatérales et symétriques sur des côtes contiguës. Elles échappent très souvent au diagnostic
précoce, justifiant la réalisation systématique d’une radiographie du squelette complet comportant des
clichés thoraciques obliques après 15 jours. Le cal de fracture révélera la(les) lésion(s). Le mécanisme
impliqué est de type écrasement de la cage thoracique. On prendra en considération d'éventuelles soins
de kinésithérapie respiratoire ou de réanimation cardio-respiratoire même si le majorité des études réfute
formellement tout lien avec des fractures iatrogènes.
- Les fractures du crâne suspectes sont extra-pariétales (surtout occipitales), multiples ou stellaires, avec
un diastasis de plus de 5 mm. Leur datation est impossible, sauf si elles s'accompagnent d'une
tuméfaction des parties molles en regard prouvant leur caractère récent.
- Les fractures du rachis sont exceptionnelles chez le nourrisson et donc d'emblée suspectes.
- Enfin les lésions du bassin avec ossification des parties molles ont été observées dans des cas d'abus
sexuels sur des enfants de sexe féminin.